21 juil. 2009

Yasukatsu Oshima with Geoffrey Keezer



J’ai jusqu’à présent assez peu évoqué la musique d’Okinawa sur ce blog, alors même que j’éprouve pour elle un attachement profond. Pour réparer cela, je vais parler aujourd’hui d’un disque que j’ai acheté un peu par hasard et qui s’intitule « Yasukatsu Oshima with Geoffrey Keezer ».

À la genèse de ce disque, deux musiciens maîtres de leur art : Geoffrey Keezer, dernier pianiste des légendaires Jazz Messengers d’Art Blakey et Yasukatsu Oshima, joueur de sanshin et chanteur, l’un des plus importants représentants de la musique d’Okinawa aujourd’hui.

Si ces deux mondes a priori éloignés ont pu se rencontrer, c’est d’abord par la curiosité du pianiste :

J’ai entendu pour la première fois de la musique des Ryûkyû au début des années 1990, alors que je jouais à Fukuoka avec un groupe de jazz. Il y avait dans ma chambre d’hôtel le câble avec 400 chaînes, et, un jour où je consultais celles de musique traditionnelle japonaise, je suis tombé sur le programme « Okinawa ». Je fus immédiatement frappé par le fait que cette musique sonnait différemment de tout ce que j’avais entendu jusqu’alors et en même temps, j’y trouvai quelque chose d’étrangement familier.

Depuis cette révélation, Geoffrey Keezer rêve de faire un disque de musique des Ryûkyû. Il évoque une première fois l’archipel dans le disque Wildcrafted en reprenant Koikugari Bushi (composition de Sadao China, sommité de la musique d’Okinawa) mais ce n’est qu’en 2005 qu’il décide de mener à bien son rêve, après avoir découvert Yasukatsu Oshima via The Power Of Okinawa, ouvrage de John Potter consacré à la musique d’Okinawa. Il achète quatre de ses disques à la fois et tombe amoureux de la voix d’Oshima dès la première piste. Il décide par la suite de profiter d’une date à Osaka pour rencontrer le musicien d’Okinawa, désormais domicilié dans le Kansai. Ils se retrouvent dans un studio pour constater instantanément que leurs musiques se marient parfaitement : le projet de disque est né !

La première piste, Ryûsei (météore) a été composée en hommage à Rinshô Kadekaru, grand nom de la musique d’Okinawa que Yasukatsu Oshima prenait comme modèle, mort en 1999. En entendant les premières notes de sanshin de cette chanson, une grande interrogation née lors du séjour à Okinawa est revenue assaillir le compositeur en herbe que je suis : comment harmoniser ce genre de mélodie ? À défaut de résoudre le questionnement technique, le naturel avec lequel coulent les notes du piano de Keezer rend la chose évidente pour l’oreille.








Quoi qu’il en soit de ma capacité à harmoniser une mélodie d’Okinawa, cette chanson est magnifique et installe une atmosphère tout à fait apaisante qui sera caractéristique de toutes les musiques douces et lentes de l’album, lesquelles représentent une majorité. Ceci grâce à l’utilisation tout à fait maîtrisée de la pédale par Geoffrey Keezer mais aussi grâce à la superbe voix de Yasukatsu Oshima, saisissante au moment où le morceau module grâce au paramètre harmonique apporté par le piano.

De façon générale, les accords du piano prolongent les notes du très peu résonant sanshin et son timbre les embrasse de la plus suave des façons que l’on puisse imaginer.

Quelques chansons sortent néanmoins de ce schéma, à commencer par Tinsagu nu hana, rengaine d'Okinawa. Celle-ci dit le caractère irremplaçable de l’enseignement des parents pour leurs enfants en le comparant à des choses de la nature. Si le sanshin est ici évacué, c’est tout un ensemble jazz qui fait son entrée. Ceci n’implique pas pour autant l’apparition d’un son « jungle » (cf. Ellington) et on garde bien au contraire une grande douceur grâce au timbre des vents joués piano.








Si presque tous les morceaux sont doux et lents, qu’ils baignent dans une résonance ensoleillée parfaitement agréable, il y en a deux qui sont de caractère plus enjoué, rappelant le kachaashi, cette danse festive où l'on décrit des circonvolutions avec ses mains (ouvertes pour les femmes, fermées pour les hommes). C’est notamment le cas d’Agarikata bushi. chanson très entraînante (la batterie de Terreon Gully n'y est pas pour rien) composée par Oshima. Elle raconte la beauté de quelques instants de vie à Okinawa.

Extrait :








(La quinzième nuit la lune monte au-dessus des arbres fukugi, allons dans le jardin de devant discuter toute la nuit).

Le choix des musiques est équilibré : deux compositions de Yasukatsu Oshima, quatre chansons de l’archipel des Yaeyama (qui comprend Ishigaki où est né Oshima) et quatre de l’île principale d’Okinawa.

En grand amateur de disques, je ne peux m’empêcher de signaler la richesse du livret, lequel contient des biographies et explications en anglais et japonais, les paroles de chaque chanson en langue d’Okinawa, une traduction en anglais ainsi qu’une brève description, quelques photos et – chose bien utile – une petite carte centrée sur Okinawa, idéale pour situer l’archipel dans le sud-est asiatique.

Pour terminer, je puis dire que l'album Yasukatsu Oshima with Geoffrey Keezer constitue la plus heureuse des unions entre jazz et sanshin qu'il m'ait été donné d'écouter jusqu'à présent. A priori incompatibles, piano et sanshin s'avèrent tout à fait mariables, ils évoquent Okinawa à l'auditeur qui se laisse entraîner, souvent avec nostalgie et mélancolie. Il faut ajouter à la beauté du timbre et à la clarté diaphane des couleurs harmoniques la qualité de la voix de Yasukatsu Oshima et la beauté simple des paroles, qui, avec peu de mots, en disent long sur la vie sur l'archipel.

L'album est depuis peu disponible en téléchargement sur iTunes. Pour l'acheter de cette façon ou écouter des extraits de chaque chanson, cliquez ici. Si comme moi vous préférez au numérique un disque et son joli livret, vous pouvez passer commande sur Play-Asia [fr] ou Far Side Music [eng].

Site officiel de Yasukatsu Oshima (eng / jp)

4 commentaires:

  1. Denys Fontanarosa さん、
    この度はYasukatsu Oshima with Geoffrey keezerについて素晴らしい紹介記事を書いて頂き本当にありがとうございます!
    内容を詳しくご紹介くださったうえ、有難いお言葉を頂戴し、CDジャケットにまで言及していただき、制作スタッフとして大変嬉しいです。
    Merci beaucoup pour tout.
    いつか是非大島の公演にもいらしていただけたらと思います。
    御礼まで

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  2. 優しいコメントをありがとうございます!

    未来さん、その素晴らしいレコードを制作して本当に Merci beaucoup !

    来年沖縄(本島)にまた留学をしに行く予定ですが、本土を旅行したら是非公演に行きます!

    大島さんにフランスからの「ハイサイ」とお伝え下さい(八重山でもハイサイと言いますか?ウチナー口の種類が多すぎます!)。

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  3. Salut Denys, c'est Sébastien Bonnet de l'échange de cette année à Okinawa.

    Je me souviens parfaitement que c'est grâce à toi que j'ai découvert-et-donc-pu-profiter de cette opportunité unique (on peut le dire sans exagérer je crois), donc un petit mot de remerciement n'est pas volé.

    Figure toi que je me suis procuré un sanshin il y a 2 mois et que je constate avec plaisir mes progrès rapides. En cherchant une partition (de style "portée") de 三線の花, je suis retombé sur cet article de ton blog, alors j'ai profite pour te dire : coucou ! Et merci !

    Et si tu as une partition de Sanshin no hana sous le coude, tu sais quoi faire cousin :)


    Au fait, j'ai vu ta vidéo envoyée à Mme. Oshita à la soirée de départ c'était drôle de te voir en "live" après t'avoir parlé par email il y a quoi, 2 ans ? En tout cas bravo, ta vidéo a fait forte impression :)


    J'espère que ça roule pour toi et que tu fais à peu près ce que tu voulais dans le business de la musique de jeux vidéos; et que tu me pardonne toute cette familiarité, mais on est presque comme de vieux amis après toute cette expérience commune. (bien que ce ne soit pas l'avis de Elodie alias Sugivore qui ne m'a même pas accepté comme ami sur Facebook alors que nous sommes comme frères d'appartement d'avoir vécu si longtemps tous deux dans ce bel Oasis College House, quelle froideur blessante)

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    1. Salut Sébastien, c'est cool que tu te sois laissé séduire par le sanshin aussi ! Pour la vidéo à Oshita-sensei, je l'ai enregistrée un matin, un peu la tête dans le pâté, dis-toi donc que le vrai Denys est un peu plus frais habituellement !

      Pour en revenir au sanshin, je te recommande, d'autant plus que tu viens de commencer, de te mettre aux partitions 工工四 (くんくんしー). Avec un peu de travail, on les déchiffre très rapidement, bien plus naturellement qu'une partition occidentale (le nombre d'informations est plus réduit), et ça permet surtout de lire n'importe quoi par la suite, des musiques de cour anciennes à la pop contemporaine ! Par ailleurs, ça pousse à penser la musique des Ryukyu dans son vocabulaire d'origine. Utiliser le système de notation occidental reviendrait à apprendre le japonais en romaji : c'est plus simple au début, mais c'est une méthode un peu dangereux par la suite ! ;)

      D'ailleurs, je n'ai 三線の花 qu'en 工工四!:p Quoi qu'il en soit, si tu tiens vraiment à lire ça sur une portée, il suffit de remplacer chaque kanji par la note qui correspond.

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